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Les flux de données numériques sont au XXIe siècle ce que furent l’électricité ou les chemins de fer pour les siècles précédents : ils irriguent l’ensemble des secteurs de la société, sont garants de sa cohésion, sont vitaux pour son industrie, ses services et son administration. Cette « économie numérique » a connu des développements considérables depuis une dizaine d’années et devrait être confrontée à des bouleversements tout aussi importants dans les dix prochaines. Pour s’y préparer, il apparaît nécessaire de conduire un travail de prospective méthodique s’appuyant sur une démarche éprouvée.
La première étape consiste à dresser une cartographie des variables essentielles, parmi lesquelles les évolutions technologiques majeures attendues, les réglementations en gestation, l’évolution du marché et de la société, le positionnement économique de la France. La combinaison de ces variables permet ensuite de construire différents scénarios à l’horizon 2025, l’accent étant placé sur l’usager (entreprises et particuliers).
De ce travail prospectif émergent des orientations à long terme et des recommandations pour l’action immédiate : efforts en matière de formation, nécessité d’agir à l’échelle européenne, aide à l’innovation, sécurisation des réseaux… Autant d’axes à examiner à la lumière de ces grands enjeux de notre temps que sont le changement climatique, l’évolution de la démographie et du lien social, la compétitivité de notre économie et, à plus court terme, la crise économique.
Ce rapport a été réalisé par le Centre d’analyse stratégique à la demande du secrétaire d’État à la Prospective, à l’Évaluation des politiques publiques et au Développement de l’économie numérique. Il est le fruit des travaux menés par la commission placée sous la présidence d’Alain Bravo, membre de l’Académie des technologies, directeur général de Supélec.
« Les technologies de l’information et des communications, et l’économie numérique qu’elles sous-tendent, constituent l’un des moteurs de la croissance et du développement des sociétés modernes. Leurs impacts sont essentiels non seulement en termes de compétitivité industrielle et de partage de ressources mais aussi dans les domaines de la cohésion sociale, de la santé, de l’éducation et de la culture, des transports et de la sécurité, et plus généralement dans le développement de la société de la connaissance et de l’économie de l’immatériel ».
Extrait de la lettre de mission du secrétaire d’État chargé de la Prospective, de l’Évaluation des politiques publiques et du Développement de l’économie numérique (voir annexe 1).
L’économie numérique peut être analysée comme un système dont la structure et l’évolution font ici l’objet d’une étude prospective portant sur les quinze prochaines années.
Un modèle à six composantes, que sont le contexte socioéconomique, les usages des personnes, les usages des entreprises et organisations publiques et privées, les technologies, les marchés, et le triptyque « réglementationrégulation- gouvernance », a été retenu. Chaque composante a fait ensuite l’objet d’une décomposition et d’une analyse en termes de variables1 pour lesquelles des hypothèses d’évolution ont été formulées (voir chapitre 2 et figure 1).
La vision structurante du système retenu s’articule autour des usages, aussi bien des personnes, des entreprises que des organisations publiques et privées, afin d’ordonner l’exercice sur l’appropriation par celles-ci des produits et services numériques. Cette exigence – faire des usages et des usagers le pivot de l’exercice – a conduit à retenir comme mode d’analyse prospective une méthode systémique par scénarios. Elle offre l’avantage, par une scénarisation des futurs possibles, de faire partager une vision commune entre acteurs et groupes distincts, de représenter les développements souhaitables et non souhaitables, de déterminer les leviers d’abord au niveau de chaque composante (méso-scénarios), puis au niveau du système (scénarios globaux). Elle a conduit, dans notre cas, à l’élaboration de six scénarios auxquels sont associés deux indicateurs globaux, l’un économique (PIB) et l’autre environnemental (GES)2 (voir figure 2) :
1. Cloisonnement (scénario à caractère tendanciel) ;
2. Hypertoile omnipotente et blocage sociétal (scénario régressif) ;
3. Économie numérique au service d’une économie verte ;
4. Économie numérique au service des interactions sociales et de l’emploi ;
5. Économie numérique moteur de compétitivité ;
6. Renouveau.
De ces six scénarios, trois forment l’épine dorsale de l’exercice.
Le scénario tendanciel, projection de la dynamique actuelle, est baptisé « Cloisonnement » (voir chapitre 2, section 1). En l’absence d’une régulation internationale satisfaisante et d’un marché unique européen des technologies de l’information et de la communication (TIC), le dépositionnement des entreprises européennes constaté actuellement se poursuit sous la double pression des États-Unis et des pays émergents.
En France, le gouvernement investit dans le développement de l’économie numérique mais manque de moyens en raison d’une situation macroéconomique dégradée car le PIB français ne croît que de 1,5 % par an en moyenne sur la période. Les administrations utilisent de plus en plus les TIC, en particulier dans leur dialogue avec les usagers. Toutefois la fracture numérique territoriale devient manifeste dès lors que se déploie le très haut débit (THD).
Si les Français dans leur majorité ont un intérêt marqué pour les réseaux sociaux et les nouveaux usages d’Internet (Web nomade, réalité augmentée, visioconférence, Internet des objets…), les potentialités du numérique ne sont pas pleinement exploitées, que ce soit dans l’e-éducation, l’e-santé ou même dans les petites et moyennes entreprises (PME), et une frange de la population, la plus vulnérable, n’y a qu’un accès très limité.
Le scénario régressif, qualifié d’« Hypertoile omnipotente avec blocage sociétal », est à éviter (voir chapitre 2, section 2). La mondialisation se poursuit mais ne donne pas lieu à la mise en place d’une véritable gouvernance mondiale. Le marché du numérique se développe sous l’impulsion des grandes entreprises qui imposent leurs normes et standards à l’ensemble des pays. Dans un premier temps, l’usage de la Toile et du numérique connaît en France un essor important. Mais, à partir de 2015-2020, l’absence de véritable régulation de la part des États ne permet ni aux PME/PMI ni aux particuliers de maîtriser les risques liés à l’usage de l’Internet (absence de sécurité des transactions commerciales, non-respect des données privées, multiplication des cyberattaques, paralysie plus ou moins longue de certains systèmes liée à la diffusion de virus informatiques…). Dans ces conditions, une grande partie des usagers se détourne de la Toile, le commerce électronique et l’usage par les administrations sont freinés dans leur développement et les utilisateurs les plus avertis réduisent leur présence virtuelle au strict nécessaire, tandis que certaines PME limitent leurs échanges avec quelques partenaires qu’elles jugent fiables. [ ... ]